Dans une des banlieues les plus bétonnées de France, entre le Fort d’Aubervilliers et la Cité HLM des Courtillères, les jardins des Vertus vivent sous la menace des bulldozers. A l’heure des étés caniculaires et des questionnements autour de la résilience alimentaire, ces jardins vivriers, îlots de fraîcheur et de verdure, vont être en partie rasés. Grand Paris aménagement y prévoit la construction du solarium d’une future piscine olympique, cherchez l’erreur…
Au XIXème siècle, en plein essor de la révolution industrielle, une femme, Félicie Hervieu, a l’idée de fournir aux ouvriers et ouvrières de Sedan, un lopin de terre cultivable dans le but d’améliorer leurs conditions de vie. L’idée est reprise par le député maire d’Hazebrouck, l’abbé Lemire. Les jardins ouvriers sont nés.
Si je sais tout ça… c’est parce que Viviane me l’a raconté ! Cette jeune chercheuse et enseignante en histoire médiévale expérimente la permaculture au jardin des Vertus depuis janvier 2020. Pendant le confinement, alors que les vivres viennent à manquer et que les files d’attentes s’allongent dans les supermarchés, elle a le privilège de récolter ses premiers légumes et de manger des blettes à toutes les sauces !
Mais une épée de Damoclès plane sur son lopin de terre… Son potager, le pommier en fleurs et la cabane à l’ombre des lilas pourraient être les prochaines victimes des bulldozers. 19 parcelles sur les 85 que comptent les jardins des Vertus, sont menacées de mort imminente. Le bail de l’association a pris fin le 30 avril, et le terrain est désormais sous la gestion de Grand Paris Aménagement. Viviane, comme d’autres jardiniers, s’engage dans le collectif de défense des Jardins Ouvriers d’Aubervilliers.
La résistance s’organise. La guerre « végétal contre minéral » est déclarée. Les membres du collectif mettent en place des ateliers de sensibilisation, des manifestations, construisent un mur de paille symbolique. Ils misent sur la communication auprès de la presse et des riverains. Ils vont tracter dans les barres HLM. Il n’est pas trop tard… le contrat avec les constructeurs peut encore être cassé pour motif d’intérêt Général.
Le mouvement prend de l’ampleur. Certaines associations le soutiennent (MNLE 93, Youth for Climate IDF, Green Peace…). Un architecte entre dans le collectif et imagine des propositions alternatives. Les solutions existent : pourquoi ne pas construire le solarium sur le toit de la piscine ?
Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ! Et de la vie il y en a ! Les jardins des Vertus sont 7 ha de biodiversité : on y trouve 22 espèces d’oiseaux protégées, le hérisson d’Europe, des renards… et bien sûr des milliers de lombrics et insectes. Si l’on promet l’attribution d’une autre parcelle aux jardiniers … toutes ces petites bêtes, elles ne seront pas relogées !
Les jardins des Vertus, c’est le lien … à la terre et aux autres. Les jardiniers viennent de tous horizons : Europe, Afrique du Nord, Asie… Une fois l’an, ils se retrouvent autour d’un repas préparé avec les produits des jardins. Au menu : bouillon de cultures !
Marie, une habitante du quartier d’origine tchèque est elle aussi engagée dans le collectif.
« A Aubervilliers, il y a en moyenne, 1,42 m2 d’espaces verts par habitant. Trois fois moins que ce que recommande l’Organisation Mondiale pour la Santé. A l’heure où on parle d’eco-quartiers et de re-végétalisation, est-il bien raisonnable de raser un tel endroit ? »
Pour Gérard, ce serait « une catastrophe ». Depuis qu’il est à la retraite, il travaille chaque jour dans son jardin – qui le lui rend bien ! Pommier, vignes, abricotier, jujubier offrent leurs fruits. Fèves, petits pois, carottes, navets côtoient les fleurs mellifères. Ici, pas d’engrais chimiques, mais du purin à base de consoude et peu d’apport d’eau grâce aux paillages qui maintiennent l’humidité. « Je ne suis pas « écolo » : j’aime la terre, les plantes, les fleurs »
Si les parcelles de Marie et Gérard ne sont pas concernées par une destruction imminente, une autre menace plane : une des futures Gares du Grand Paris Express doit voir le jour en 2025 et amputer une fois de plus les Jardins des Vertus.
Mais il n’est pas encore trop tard pour entrer en résistance. L’histoire a montré que les zadistes savaient se faire entendre. La mobilisation pour La défense des jardins ouvriers d’Aubervilliers pourrait prendre de l’ampleur car elle cristallise nombre de nos problématiques actuelles : comment produire une nourriture de qualité accessible à tous, pourquoi reprendre le pouvoir sur nos modes de consommation et de production, qu’est-ce qu’une ville vivable … ?
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