Au cœur de Paris, dans un des quartiers les plus luxueux de la capitale, il est un restaurant gastronomique. Rien d’inattendu jusqu’ici… Sauf que ce lieu, situé sous l’église de la Madeleine, décoré par des artistes et designers de renom, a la particularité d’offrir aux plus démunis une cuisine de chefs, élaborée à partir de produits invendus. Massimo Bottura, à l’origine du projet et de l’association Food For Soul, ne prétend pas répondre à l’urgence alimentaire, mais a pour ambition de redonner de la dignité à ceux qui croyaient l’avoir perdue, par le beau et le bien manger. Bienvenue au Refettorio, restaurant gastronomique et solidaire.
Avant de passer les portes de la cuisine, quelques chiffres : le restaurant a à son actif, depuis mars 2018, 30 000 repas servis, 45 tonnes de nourriture sauvée, 80 personnes accueillies chaque soir. 2000 bénévoles participent à l’aventure, et une centaine de chefs renommés ont investi le lieu pour un soir.
15H, Solène, la Cheffe entre en scène*. Chaque jour, c’est la surprise, elle découvre le stock d’invendus et doit improviser un repas à la fois gastronomique, équilibré et nourrissant. Elle apprécie la contrainte qui stimule sa créativité. Jugez par vous-même : au menu, ce soir… Tombée de chou blanc au citron, haddock fumé sur espuma de pommes de terre à la poudre d’algues.
Chair de tourteau et sa bisque. Julienne de légumes, riz parfumé à la ciboulette.
Ganache au chocolat sur mille-feuille de tuiles.
Solène n’a pas son pareil pour sublimer les produits qu’elle reçoit. Mais cette cuisine de fonds de placards est parfois un vrai challenge pour les chefs invités qui délaissent leur restaurant étoilé le temps d’une soirée…
*Solène est la sous-cheffe. Le jour du reportage, le chef résident, Maxime Bonabry Duval n’était pas présent pour cause d’arrêt maladie. Il est habituellement et quotidiennement en cuisine avec les bénévoles pour élaborer les repas.
Avec elle, une brigade de cinq bénévoles. Des petites mains qui coupent, taillent, épépinent, concassent, fouettent, badigeonnent, opinent du chef aux ordres de la cheffe, remuent et se remuent pour que tout soit prêt à 18H pétantes.
Des petites mains qui donnent de leur temps, heureuses d’apprendre les gestes du métier et de participer à un projet qui fait sens.
Marie fait partie des initiés. Elle met la main à la pâte tous les lundis, et finit par avoir une solide expérience. Solène peut compter sur elle pour briefer les novices !
Ibrahima, lui, est là « tous les jours depuis le premier jour ». Nul besoin de préciser que « si le travail ne lui plaisait pas, il ne serait pas là !», on le devine à sa manière de taquiner joyeusement ceux qui s’aventurent du côté de la plonge. Il fait partie, avec Maxime, Solène, Margaux, Déborah, Damien, Amad et Olmedo de l’équipe de 8 salariés du Refettorio.
Les produits reçus sont souvent d’une qualité exceptionnelle : que ce soient ceux de la mer, récupérés chez Transgourmet Seafood, ou les pièces de boucher de chez Metro. C’est parce qu’une équipe professionnelle est en place que l’association a accès à ces produits d’exception. 500 à 600 kg d’invendus sont ainsi sauvés de la poubelle pour être sublimés chaque semaine.
Chaque soir, dans une ambiance feutrée et bienveillante, au milieu des œuvres de Prune Nourry et JR, entre 60 et 100 repas sont servis à l’assiette. Travailleurs pauvres, exilés, sdf, précaires de toutes sortes sont orientés vers le Refettorio par des associations. Ils peuvent, le temps d’un repas, se réapproprier les codes d’une société à laquelle ils n’ont plus accès, et reprendre confiance. Isabelle et son ami Pascal sont des habitués. Elle, vient « chercher un peu de raffinement, se reconnecter aux belles choses de la vie : quand on se déconnecte, on perd le goût de la vie ». Lui, apprécie d’être au calme, de bien manger en écoutant de la musique classique. « C’est la vie normale. Quand je suis ici, je me souviens qu’avant, j’avais un chez moi »
Gaëlle travaille dans l’immobilier. Indépendante, elle ne compte pas ses heures. Se rendre tous les lundis au Refettorio est une manière de faire une pause dans son rythme effréné, de décompresser. Auprès des convives et des autres bénévoles, elle donne autant qu’elle reçoit.
Alors, c’est vrai le Refettorio ne répond pas à la faim dans le monde et certes, ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la lutte contre le gaspillage alimentaire, mais c’est un projet qui redonne goût et sens à la vie, et ça, c’est pas du luxe !