Air rigolard et oeil malicieux, je vous présente Hervé, l’happyculteur. On pourrait penser que c’est un homme heureux ; en prenant soin de ses abeilles, il contribue à la biodiversité. Mais ne nous fions pas trop aux apparences… car chaque jour, son activité lui rappelle la fragilité de notre écosystème.
Dans le petit milieu de l’apiculture parisienne, Hervé est une référence. Ce qu’il aime, c’est partager son savoir. Il court les écoles, les entreprises, les fêtes de quartier pour transmettre son message « Quand il n’y aura plus d’abeilles, il n’y aura plus de Nutella ».
Blague à part, Hervé n’a qu’une idée en tête, percuter et provoquer une prise de conscience.
A ceux qui s’opposent à l’élevage en ruche, arguant qu’il n’y a plus assez de ressources végétales pour les abeilles sauvages et autres pollinisateurs, Hervé répond « tant qu’il y aura des apiculteurs, il y aura des abeilles. On arrive à un stade où on veut produire des abeilles génétiquement modifiées, et où on cherche à faire de l’insémination artificielle. On sait que la chimie de notre industrie agricole tue l’ensemble des pollinisateurs. Tout ce qu’on va faire pour les préserver va dans le bon sens. »
Il prêche une convaincue. Je le suis dans une de ses tournées urbaines, avide d’en apprendre un peu plus auprès de ce grand sage.
Première étape, Gennevilliers, sur le toit d’une usine de décapage. Une des trois ruches n’a pas survécu sans raison apparente. Grosse déception. L’apiculture, c’est une éternelle remise en question. « S’occuper d’une ruche, c’est comme préparer un animal de concours, il faut lui donner le meilleur ». Ça commence par l’emplacement. L’usine de décapage est bien située : non loin du parc de Chantereine et dans une rue bordée de Sophoras. Ces arbres sont une aubaine pour les abeilles : ils s’épanouissent en juillet et août, quand il n’y a plus de fleurs.
Hervé commence par enfumer ses ruches. Les abeilles se croient en danger, menacées par un incendie. Elles vont faire des réserves de miel pour quitter la ruche. Une fois leur abdomen gonflé, elles ne piquent plus. Mais attention ! chacune a sa
fonction, les gardiennes peuvent encore attaquer.
Hervé aime sentir l’humeur de sa ruche, « lorsqu’elle est en bruissement, c’est qu’on la tient en respect. C’est comme un chat qui ronronne, il ne va pas griffer ! »
Direction Nanterre, où nous suivons notre apiculteur rockeur à la Ferme du Bonheur. Au PRE (Parc Rural Expérimental), Hervé est le référent en matière d’apiculture. Il prend soin des ruches, et anime des ateliers d’initiation.
Au pied des cités de la Garde Républicaine, surplombant l’autoroute, ce « lieu participatif d’expérimentation botaniques et sociales » est une autre planète. Raison de plus pour enfiler nos combinaisons de cosmonautes ! Hervé retire les cadres un à un, les nettoie, vérifie la production de couvain, fait sa révérence à sa Majesté la Reine des Abeilles, puis remet tout en place.
Un peu de pédagogie…
La ruche est composée d’un plancher sur lequel est posé le corps de la ruche.
Dedans, se trouvent les cadres. L’apiculteur y met des feuilles de cire gaufrée pour favoriser le travail des abeilles. Lorsque la ruche est en bonne santé, on y trouve le couvain (larves et oeufs), une bonne partie de la colonie, et bien sûr, la reine.
Par-dessus, vient une hausse, où on recueillera le miel déposé sur les demi-cadres.
Le tout est protégé par un toit.
L’enfumoir doit dégager une fumée froide. Pour cela, Hervé brûle des copeaux de bois non traités ou des granules de végétaux. Il ajoute de l’herbe pour refroidir la fumée.
Nous filons ensuite dans le 20ème arrondissement de Paris sur le toit du théâtre de la Colline, où se joue un autre spectacle : une vue dégagée sur les toits gris de Paris. Ces abeilles-ci butinent au Père Lachaise. Contre toute attente, le miel parisien est moins pollué que le miel des plaines agricoles : le jardinier parisien utilise de moins en moins d’engrais et de pesticides, interdits dans les Parcs et Jardins depuis 2017.
Les pesticides, parlons-en ! L’une des principales causes de mortalité des abeilles est leur exposition aux néonicotinoïdes. Ces insecticides agissent sur leur système nerveux, altèrent leur sens de l’orientation, leur faculté d’apprentissage, leurs capacités reproductives. Et les rendent encore plus sensibles aux autres menaces, le frelon asiatique, le varroa (parasite), le nosema (champignon), et la loque américaine (bactérie).
Continuer à être apiculteur… en dépit des difficultés. Avec 30% de mortalité des abeilles, il y a de quoi se décourager. Mais pour Hervé, c’est une passion, un acte militant et pédagogique qui lui permet de côtoyer toutes sortes de gens, comme dans ce jardin sur les toits, entretenu par une association de réinsertion.
Il continue à délivrer son message « Quand il n’y aura plus d’abeilles, il n’y aura plus de… ». Il n’y aura surtout plus de bon miel !
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