Mulâne

« Je ne suis pas permacole, ni ethologue, je suis paysanne » affirme Eliane Meignant en guise de présentation. Visage buriné par le soleil et le vent, mains puissantes, posture ancrée… elle a tout d’une travailleuse de la terre, d’une aventurière…ou bien des deux à la fois.

Nés en Anjou, Eliane et son mari, Pascal, ont longtemps été moniteurs d’équitation avant de partir naviguer en Atlantique Nord avec leurs 4 enfants. Depuis 2015, ils cultivent leurs plantes aromatiques sur un petit lopin de terre perché dans la vallée de la Drôme, face au massif des Trois Becs.

Au lieu dit Grosse Pierre, on emprunte un chemin qui serpente dans les hauteurs du village de Saillans. Il nous mène sur le terrain arboré d’Eliane et Pascal, tout en terrasses et balcons… Eliane raconte une anecdote qu’elle a vécue comme un signe : le couple a acheté le terrain à Maurice Allard, octogénaire, « Monsieur Météo » du village. Son grand-père paysan a été la dernière personne à cultiver le terrain. Il avait une fille qui s’appelait… Eliane Allard ( nom de jeune fille de notre Eliane ). La boucle est bouclée et les dés sont jetés. Aventurière elle était, paysanne elle sera désormais.

Par passion, mais aussi pour des raisons économiques et parce que le terrain s’y prête bien, Eliane et Pascal décident de travailler en traction animale avec un âne et un mulet. Ces équidés présentent de nombreux avantages à la ferme, ils mangent 30 % de moins qu’un cheval ou un poney du même poids mais travaillent 30 % plus ! Ils vivent aussi plus longtemps. Eliane compte bien vieillir avec eux.

Le mulet hérite des qualités de ses parents. Il tient sa force du cheval, son caractère placide de l’âne. Cet animal hybride demande à ce qu’on lui consacre du temps : « on dresse un cheval, mais on éduque un mulet ». Eliane se souvient de sa première mule, Baya. « Elle était très jolie, sauvage, elle m’a appris à céder. »

« Les gens assimilent parfois le travail des animaux à de la maltraitance. C’est le contraire, laisser les animaux au pré est
maltraitant. Ce sont des animaux de labeur, ils aiment travailler et être utiles. » Eliane fait tout avec eux : labour, débardage, épandage du compost, mais aussi randonnées et …vacances ! Au village, tout le monde connaît l’âne Chausset’. « Il donne le sourire aux gens ».

Sur 2 hectares, 5000 m2 de plantes aromatiques et médicinales sont cultivés. De mars à novembre, c’est « le défilé des récoltes, des couleurs et des senteurs » : thym, sureau, rose, origan vert, hysope, verveine citronnée, sarriette des montagnes, hélichryse italienne, sauge officinale, lavande vraie, puis mauve, bleuet, calendula et basilics.

Eliane a choisi des variétés mellifères, pour attirer les abeilles, et méditerranéennes, pour une bonne adaptation au climat. Il n’y pas d’eau de source sur son terrain, les cultures ne sont jamais arrosées, « ce serait une aberration, et en même temps cela donne plus de goût à mes plantes ».

Il n’y a pas d’électricité non plus. Le travail est effectué à la main avec des outils chinés en brocante. Serpette, faucille, pioches, bineuse, canadien, labour et grelinette ont été forgés par les anciens.

Eliane coupe 1 rang de thym sur deux au premier tiers de floraison pour l’herboristerie. Elle en laisse un peu pour les abeilles…Une deuxième récolte destinée à la distillerie aura lieu en fin de floraison quand la fleur sera bien chargée en principes actifs.

Une partie de la récolte est vendue en vrac via le magasin de producteurs et les marchés de Saillans et de Crest. Pas d’emballages pour éviter les dépenses, de la vente directe et locale pour limiter les frais et favoriser les rapports humains. L’autre est distillée pour fabriquer des huiles essentielles.

Lorsqu’elle fait le bilan, Eliane est heureuse d’être à son compte, de se sentir libre malgré la charge de travail. Elle et son mari vivent chichement, mais sont fiers de ne rien devoir aux banques, de ne dépendre de personne. Aujourd’hui, ils souhaitent transmettre un message aux jeunes qui veulent entrer en paysannerie : on peut se lancer sans argent en adoptant une démarche décroissante.

Texte et photos : Julie Subiry

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